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The Sound and me #15 avec Jean-Charles Richard

The Sound and me #15 avec Jean-Charles Richard
Saxophoniste multi-facettes, Jean-Charles Richard se produit au sein d’orchestres classiques, de big bands, de fanfares de rue, aux côtés de chanteurs de variété ou de compositeurs contemporains. Responsable de la classe du cycle spécialisé jazz et musiques improvisées au CRR de Paris, le musicien nous livre sa conception du son et son rapport à sa propre sonorité.

Une succession de peaux

« J'imagine ce travail du son - ou le fait de trouver sa sonorité - comme une succession de cercles, une succession de peaux. Comme un oignon dont on ne sait pas quelle est la dernière des peaux, avec un centre que j'imagine un peu immuable. Et ces cercles-là, c'est aussi une question de travail dans le temps, d'avancée du temps. Et au plus central, c'est le physique. C'est-à-dire j'ai ce son là parce que j'ai ce physique-là, j'ai une certaine structure osseuse, une certaine forme de cavité buccale, c'est mon physique et c'est ce physique qui porte le son

Le travail de production du son

« Le deuxième cercle est celui sur lequel le son est plus travaillé, c'est celui sur lequel on a énormément d'informations, c'est tout ce qui rentre en ligne de compte pour la production du son : la position de la langue, la façon de souffler, tous les exercices de production du son, pour essayer d'avoir cette maîtrise des différents registres. C'est aussi dans ce cercle-là que rentre en ligne de compte l'instrument, parce qu'évidemment, l'instrument a un certain impact sur le son, le type de bec, le type d'ouverture, etc. Mais cet aspect-là est proportionnel au degré d'investissement que le musicien y met. Il y a des musiciens pour qui l'instrument fait tout, le bec fait tout, l'anche fait tout, la ligature fait tout... Et d'autres pour qui il y a une sorte de mise à distance et ils ont plutôt la sensation que le travail du son est déjà en eux. C'est ce travail de production sonore, cette maîtrise des overtone, cette maîtrise du larynx et du pharynx, qui font qu'ils auront toujours à peu près le même son, quel que soit l'instrument qu'ils jouent.»

Une conception du son

« C'est à partir du troisième cercle que je fais intervenir l'extérieur, c'est à dire que dès l'instant où quelqu'un prend un instrument, il porte en lui une certaine culture. Et lorsqu'un enfant du Burkina Faso prend un saxophone pour produire un son, il n'a pas les mêmes références en termes de culture sonore, du lien avec le rythme, qu'aura un enfant américain ou un enfant anglais, français ou chinois. Et dans la continuité de ça, lorsqu'un enfant joue d'un instrument, il a sans doute quelque chose en tête de la qualité du son. Et si, effectivement, le répertoire dans lequel il a grandi, c'est la musique française Vincent d'Indy, Fauré, Debussy, Ravel, il va avoir de fait un type de son qui sera différent d'un enfant qui est né à La Nouvelle-Orléans et qui a entendu des musiciens de jazz qui jouent dans la rue.

Donc, c'est à ce moment-là qu'intervient une conception du son, c'est à dire : je joue de cet instrument mais qu'est-ce que j'ai envie de jouer avec cet instrument? Ce n'est pas déjà le langage, mais c'est déjà en termes de qualité sonore

Une cible à atteindre

« Je conseille à beaucoup d'étudiants de relever, comme je l'ai fait moi-même. Lorsque des gens relèvent très vite et passent très vite ces relevés par l'écrit on voit tout de suite quelle culture ils amènent dans la lecture de ces relevés. Et lorsqu'un musicien classique peut jouer un relevé de transcription de Charlie Parker, d'un Omnibook, ou même d'un relevé de transcriptions de John Coltrane, s'il est dans une sphère classique, il va, même en lisant les bonnes notes et le bon rythme, jouer à la manière d'un musicien classique.

Donc, ce qu'on relève en général dans ces relevés, ce n'est pas uniquement bien pour avoir le rythme et les hauteurs. C'est intéressant pour avoir une notion de l'articulation. Comment le discours est porté ? Quels sont les points d'appui ? Quelles sont les syllabes qui sont mises en avant ? Et puis, c'est aussi une vraie conception du son. La façon dont les graves sont joués, les aigus sont amenés, est ce que c'est déchirant ? Est-ce que c'est en douceur ? Et pour un musicien en construction, qui est en train de construire son son, le fait d'avoir ces modèles identificatoires, ça leur permet d'avoir une cible à atteindre. Je ne pense pas que de façon innée un musicien prenne un instrument, n'entende personne et puisse avoir une idée esthétique du son qu'il aurait envie de produire. C'est forcément un échange entre l'intérieur et l'extérieur.»

Être en accord avec sa voix

« C'est aussi intéressant de s'écouter d'une façon extérieure, c'est à dire d'enregistrer et écouter le son qu'on a. Le son que j'imaginais avoir quand j'ai travaillé cet instrument, est-ce le son que j'obtiens lorsque j'écoute ce qui a été joué ? Et on voit bien, ne serait-ce que pour la voix - qui est la même chose, la voix porte les émotions et notre discours comme le son du sax porte mes émotions et mon discours musical - pour la voix, on s'aperçoit que parfois des gens nous disent : "c'est fou, je ne reconnais pas ma voix. Je n'avais pas la sensation d'avoir cette voix-là" ou : "je déteste m'entendre, je déteste m'écouter, je n'aime pas le timbre de ma voix." Ils ont du mal avec leur voix. Et il faut faire en sorte que l'instrumentiste puisse être en accord avec sa voix.

Personnellement, j'ai été très sensible à des retours qu'ont pu me faire des copains musiciens sur le son que j'avais. Moi, j'ai toujours eu envie d'amener beaucoup de matière dans le son, que ce soit un son très riche, notamment parce que Lacy m'avait beaucoup impressionné dans la capacité d'avoir un son qui soit absolument plein et plein d'harmoniques. J'ai toujours eu tendance à essayer d'amener de la matière pour timbrer. Sauf que parfois, le son qui sort en salle n'est pas forcément le son que j'ai sur scène. Donc, il a fallu parfois quelques ajustements et l'écho d'amis musiciens qui me disaient : "je trouve que le son est comme ça", alors que je n'avais pas du tout cette conception-là, et j'ai pu, grâce à eux, changer de braquet. J'ai pu adoucir, j'ai pu parfois aller dans un sens ou parfois aller dans un autre. Dans certains projets on m'a dit : "j'aime bien le son que t'as avec ça, j'aime bien ce côté-là, un peu plus doux, c'est un peu le son que je recherche." Moi, je n'avais pas forcément cette conception-là ou cette préconception-là, et j'ai accepté volontiers de "me mettre au service de", ce qui est un peu le principe de n'importe quel musicien, de se mettre au service de la musique, en fait.»

 

 

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