Les voies du saxophone, l'ouvrage de Claude Delangle
Soliste et pédagogue de renommée mondiale, Claude Delangle est une légende vivante du monde du saxophone. Son livre tient du bilan, de la prise de distance sur sa trajectoire de musicien, à l'heure où le saxophoniste achève sa carrière au Conservatoire de Paris tout en étant engagé dans de multiples projets artistiques.
En dialogue avec la musicologue Lucie Kayas, le musicien aborde ses débuts avec l'instrument, son travail avec les compositeurs (entre autres Berio, Boulez, Dutilleux, Ligeti, Scelsi, Stockhausen, Denisov), ses collaborations artistiques, son rapport à l'enseignement…
« J'ai très tôt ressenti ma responsabilité dans le développement d'un répertoire de qualité qui tienne réellement compte de l'acoustique spécifique de mon instrument. Créer pour moi-même et transmettre à la postérité, avec une certaine conscience historique, donnait une direction à mon activité musicale. […] À ma nomination au Conservatoire de Paris en 1988, à cette conscience de la responsabilité quant au développement d'un répertoire de qualité, se sont ajoutés subitement le poids et la perspective de l'histoire du saxophone dans cet établissement et de son influence sur le développement des écoles de nombreux pays. Quand j'étais moi-même élève, certaines œuvres clés étaient passées sous silence: la Fantasia de Villa-Lobos - parce qu'elle était écrite pour un autre instrument que le saxophone alto -, le Trio de Paul Hindemith - parce qu'on ne travaillait pas de musique de chambre autre que le quatuor de saxophones et le duo avec piano -, ou la Hot Sonate d'Erwin Schulhoff - parce qu'on jouait quasiment exclusivement le répertoire français -, voire la Rhapsodie de Debussy - qui ne mettait pas assez en valeur la virtuosité instrumentale! J'en ressentais une véritable frustration.» |
Claude Delangle nous raconte aussi l'histoire du saxophone et celle de la facture instrumentale à travers son rôle au sein de la Maison SELMER. Essayeur et conseiller acoustique pour la Maison depuis plus de 30 ans, le saxophoniste a participé à la conception de plusieurs instruments et accessoires, notamment le saxophone Série III, l'alto Supreme et bien sûr le bec Claude Delangle.
« La souplesse de l'essayeur en termes d'esthétique de son lui permet de juger de manière plus globale et plus nuancée les améliorations qui doivent impérativement être apportées pour emporter le suffrage des musiciens, ou parfois pour identifier des seuils d'évolution à ne pas franchir. Patrick Bourgoin et moi même avons toujours ressenti de manière aigüe le poids d'une grande responsabilité vis-à-vis de la profession, de l'histoire de la facture et de la bonne marche de l'entreprise.[…] On note chacun des paramètres selon une grille préétablie. Émission des différents registres, justesse, projection, homogénéité, flexibilité, richesse du timbre. La moyenne des notes pour chacun de ces paramètres est pondérée par la note de perception globale de l'essayeur. L'instrument peut avoir une superbe moyenne des paramètres et la perception globale du musicien être médiocre. Cette note globale s'affranchit des paramètres objectifs pour s'équilibrer avec des sensations subjectives difficilement identifiables pour le facteur. […] J'ai parfois pris de gros risques. Lors d'un concert à Ljubljana, je me souviens avoir joué un prototype de bec qui ne fonctionnait pas. Tant qu'on n'est pas monté sur scène avec un matériel, on ne sait pas exactement ce qu'il vaut. J'ai découvert des possibilités que je n'avais jamais remarquées lorsque j'ai joué le Supreme pour la première fois en public. Le concert reste le lieu de l'expérimentation, l'épreuve de la validation par le feu de la scène.» |
L’entretien se poursuit sur le terrain du corps de l’interprète pour s’achever sur un plan plus philosophique et spirituel…
Une plongée en profondeur dans l'univers de l'artiste qui a révolutionné le répertoire de son instrument et laissé une empreinte indélébile dans l'histoire de la musique.