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La transmission musicale, une affaire de famille ?

La transmission musicale, une affaire de famille ?
Pour de nombreux musiciens, la musique relève d'une passion qui se transmet des parents aux enfants. Les exemples célèbres ne manquent pas : les Bach, les Couperin, les Philidor, et plus récemment les Marsalis, les Freeman ou encore les Delangle…

Les Selmer, famille de musiciens

Chez Henri SELMER Paris, la transmission des savoirs et des passions a toujours occupé une place de choix.

Au sein de la famille SELMER, d'abord, comptant plusieurs générations de musiciens militaires. Ainsi, comme son père et son grand père, Henri Selmer entreprend très tôt sa carrière de clarinettiste : il jouera au sein de la Garde Républicaine, des orchestres Lamoureux et de l'Opéra de Paris. Son frère Alexandre hérite également de la fibre musicale puisqu'il fait carrière aux États-Unis dans trois grands orchestres: Le Boston Symphony Orchestra, le Cincinnati Symphony Orchestra et le New York Philharmonic Orchestra.

La transmission est également essentielle au sein des ateliers de Mantes-la-Ville, où se transmet un savoir-faire artisanal et traditionnel depuis plus d'un siècle, ainsi qu'une culture de recherche permanente au service du musicien…

Georges, Jean, et leur père Maurice Selmer (descendants de Henri Selmer)
Georges, Jean, et leur père Maurice Selmer (descendants de Henri Selmer)

 


La musique en héritage

C'est toujours une grande joie de constater que nos instruments sont vecteurs de transmission chez nos ambassadeurs. Cette transmission s'effectue bien entendu entre professeurs et élèves, mais aussi lorsqu'un parent partage avec ses enfants son art et sa passion pour la musique…

Nous pouvons bien sûr citer la famille Delangle. Le saxophoniste Claude Delangle et la pianiste Odile Catelin-Delangle ont quatre enfants musiciens dont deux sont professionnels : Rémi Delangle, clarinette solo à l'Orchestre de la Garde Républicaine et concertiste aux multiples facettes, et Blandine Delangle, bassoniste fraîchement diplômée en 2ème Cycle du CNSMDP et musicienne free lance.

Famille Delangle
Les Delangle au Concours musical des familles (2011)


Pour les enfants Delangle, faire de la musique était une évidence. La musique faisait en effet totalement partie de la vie familiale : ils allaient voir des concerts et des opéras avec leurs parents mais avaient aussi accès à l'envers du décor : ambiance des loges, répétitions, visites régulières de compositeurs et de musiciens à la maison... Parents et enfants ont toujours pris plaisir à jouer ensemble, que ce soit au coin du feu, au Concours musical des Familles ou lors de concerts professionnels avec de grands orchestres. S'il n'est pas forcément évident de trouver sa place lorsqu'on a des parents déjà bien installés dans le métier, une atmosphère de bienveillance et de soutien inébranlable semble régner au sein de la famille. Blandine se souvient avec émotion de l'un de ses premiers concerts avec ses parents, à Monaco :

« Je ne me sentais pas très légitime avec mes parents tellement habitués à partager la scène en musique de chambre... Mais ce fut une grande joie pour moi de sentir qu'ils tenaient compte de mon interprétation, comme des collègues! Leur écoute «professionnelle» m'a encouragé à m'engager dans ce métier.»

Vous pouvez cliquer sur le lien ci-après pour lire l'interview complète de Claude, Rémi et Blandine Delangle.

Claude et Rémi Delangle
Claude et Rémi Delangle échangeant leurs instruments


De leur côté, Yves Sévère et son fils Raphaël ont tous deux choisi la clarinette. Pourtant au départ, rien n'était moins sûr. Si Raphaël a souhaité apprendre la clarinette dès le plus jeune âge, son père, lui-même clarinettiste enseignant au conservatoire de Nantes, l'invite d'abord à essayer le piano, le violon, puis le violoncelle...

Yves et Raphael Sévère
Yves et Raphaël Sévère


Déterminé, Raphaël finit néanmoins par emprunter la clarinette de son papa à l'âge de huit ans pour enfin s'initier à l'instrument tant convoité. Il commence alors à étudier au conservatoire de Nantes auprès de son père. «Je lui dois la plupart des choses, il a posé les bases de mon développement ultérieur» témoigne le jeune virtuose. Vainqueur du concours de Tokyo à l'âge de 12 ans, nommé Révélation soliste instrumental aux Victoires de la musique à 15 ans, Raphaël Sévère a remporté, en novembre 2013, le prestigieux concours des Young Concert Artists International Auditions de New York, de quoi faire rougir de fierté son papa.

Les duos de saxophonistes ne sont pas en reste. Durant la seconde moitié du 20e siècle, Gérard Badini participe aux plus grands festivals de jazz européens avec son groupe Swing Machine et part aux Etats-Unis jouer avec Roy Eldridge, Clark Terry, Count Basie, Duke Ellington, Stan Getz... Au début du siècle suivant, son fils Jérôme Badini - bercé par Miles Davis et James Brown, inspiré par Macéo Parker et Bennie Maupin - invente l'electro-sax et fait résonner son saxophone aux côtés de DJ de renom.En 2006, il collabore avec l'orchestre de son père et produit Scriabin's Groove, album plusieurs fois récompensé.

Grupo Compay Segundo
El grupo Compay Segundo


De l'autre côté du globe, les cubains Rafael Inciarte Rodríguez et Rafael Inciarte Cordero jouent ensemble au sein du mythique El grupo Compay Segundo. Le premier à la clarinette Sib, et son fils à la clarinette basse.

Le père de Rodríguez, Rafael Inciarte Brioso, avait lui-même débuté sa carrière musicale à l'âge de 10 ans. Dans un post Facebook publié en janvier dernier, son fils lui rendait hommage pour le 111ème anniversaire de sa naissance.

«Il reste l'étendard de notre famille, qui fait de la musique pour Cuba et le monde depuis 1836, soit 184 ans. Merci, papa ! Vive la musique ! Vive notre famille ! »

Archives Famille Inciarte
Photo d'archives de la famille Inciarte


Si les Inciarte ont toujours été proches de père en fils, certains enfants héritent de la passion de leurs parents sans vraiment les avoir connus. C'est bien sûr le cas de Ravi Coltrane ; John Coltrane meurt alors que son fils n'a que deux ans. C'est aussi celui de Joshua Redman, élevé loin de son père, le saxophoniste Dewey Redman.

« Je n'ai pas grandi avec mon père mais j'ai grandi avec sa musique. Il a été l'une de mes plus grandes influences puisque j'écoute sa musique depuis que je suis né. J'ai toujours pensé qu'il y avait beaucoup de son son et de son jeu dans le mien.»

Dewey et Joshua Redman
Dewey et Joshua Redman


C'est seulement lorsqu'il s'installe à New York, en 1991, que Joshua commence à jouer avec son père et apprend à le connaître. Cette année-là, il remporte également la fameuse Thelonious Monk International Saxophone Competition et démarre une carrière internationale. Après avoir enregistré plusieurs fois avec le groupe de son père, Joshua Redman invite son père à participer à son album Back East en 2006, quelques mois seulement avant sa mort. Ce fut la dernière fois qu'ils jouèrent ensemble. En 2018, Joshua sort Still Dreaming, un album inspiré par le groupe de son père Old and New Dreams (1976-1987).

Chico et Von Freeman
Chico et Von Freeman (Photo : Ducasse)


Autre famille de musiciens : celle des Freeman. Ayant lui-même grandi entouré de musiciens (Louis Armstrong était un ami proche de son père), Von Freeman fut l'une des principales figures de l'école des saxophonistes ténors de Chicago. S'il avait une solide réputation dans la région, sa notoriété était limitée puisqu'il refusait de quitter sa ville natale et enregistrait peu. Au milieu des années 1970, son fils Chico Freeman s'installe à New York, devient célèbre, met son père sur le devant de la scène et lui redonne le goût des tournées. Ils enregistrent plusieurs albums ensemble et se produisent dans de nombreux pays. En 1982, Chico Freeman initie un album intitulé Fathers and Sons, auquel participent également le pianiste Ellis Marsalis et ses deux fils Wynton (trompettiste) et Branford Marsalis (saxophoniste).

Marsalis
The Marsalis Family en concert


Ce dernier a enregistré plusieurs albums en famille depuis ses débuts, notamment Loved Ones (1996) en duo avec son père et Marsalis Family: a Jazz Celebration (2003) avec son père et trois de ses frères. Lors du décès d'Ellis, en avril dernier, Branford déclarait :

« Mon père était un géant dans la musique et l'enseignement, mais un père encore plus grand. Il a donné tout ce qu'il avait pour nous permettre de développer le meilleur de nous-mêmes.»

Les exemples de filles de musicien(ne)s choisissant le même chemin que leurs parents ne manquent pas non plus.

La chanteuse, pianiste et guitariste Norah Jones est la fille du célèbre virtuose indien du sitar Ravi Shankar. Ce dernier a grandement contribué à faire connaître la musique indienne en Occident grâce à sa collaboration avec le violoniste Yehudi Menuhin et le guitariste des Beatles George Harrison. Sa fille s'est quant à elle tournée vers le jazz et a été récompensée plusieurs fois aux Grammy Awards.

Chanteuse de jazz également, Dee Dee Bridgewater a collaboré notamment avec Ray Charles, Sonny Rollins, Dexter Gordon... Sa fille China Moses manifeste très tôt son intérêt pour la musique et enregistre son premier single à 16 ans. Elle à depuis multiplié les projets, participé à de nombreux festivals, et partagé à plusieurs occasions la scène avec sa mère : lors des Victoires du Jazz (2007), du festival Jazz à Vienne (2010) ou encore avec l'Orchestre philharmonique de Marseille en 2013....

China Moose et Dee Dee Bridgewater
China Moose et Dee Dee Bridgewater


De nombreux autres duos mère-fille ont marqué l'histoire : Patti Smith (musicienne et chanteuse) et sa fille Jesse Paris Smith (écrivaine, activiste, pianiste), Naomi et Wynonna Judd qui ont chanté pendant huit ans au sein de leur duo de musique country The Judds, ou encore les grandes Nina et Lisa Simone...

La musique est une affaire de partage, c'est pourquoi elle se diffuse et se transmet si bien au sein du noyau familial. Pour Claude Delangle, la pratique musicale en famille est ressourçante mais aussi nécessaire :

« Il est fondamental, pour des musiciens professionnels, de conserver une pratique amateure de la musique. Il ne faut pas considérer notre art dans un unique objectif de programmes de concert ou de concours… La famille permet de conserver un jardin secret musical.»